lundi 16 avril 2012

Pour une transformation radicale des médias

Comme le rappelaient en 2009 les principes fondateurs du NPA, «  une critique radicale du système capitaliste, sérieuse et cohérente, ne peut se faire sans critique radicale de la culture, de l’art et des médias puisqu’ils sont les verrous de l’idéologie dominante et, par conséquent, un obstacle important à l’émancipation de toutes et tous »

Possédés et gérés par de grands groupes industriels et financiers vivant souvent des commandes de l’État (en France les groupes Dassault, Bouygues, Lagardère, etc.), ou par l’État lui-même (France Télévisions, Radio France, Audiovisuel extérieur de la France), les médias constituent pour la classe dirigeante un moyen d’imposer les questions dont il faudrait débattre à tel ou tel moment (identité nationale, insécurité, dépenses publiques, etc.), d’occulter celles qui s’avèrent essentielles pour la grande majorité de la population (emploi, salaires, discriminations racistes, services publics, etc.), et de distribuer la parole aux deux grands partis qui se succèdent au pouvoir, mais aussi à des « éditocrates » ou autres « experts » justifiant l’ordre existant.
Évidemment, le pouvoir des grands médias n’est pas sans limite, comme l’a montré le « non » opposé par le peuple à l’adoption du TCE en 2005. Un mouvement de masse peut déjouer et contredire une mobilisation médiatico-politique de grande ampleur en faveur du néolibéralisme. Cela ne veut pourtant pas dire que les grands médias n’exercent pas un pouvoir, les tenanciers des médias et journalistes dominants décidant quotidiennement de qui pourra s’exprimer, dans quelles conditions, et des sujets sur lesquels ceux et celles qu’ils invitent seront amenéEs à s’exprimer.
Escroquerie de plus, les médias sont présentés par ces chiens de garde du capitalisme comme un contre-pouvoir (le fameux « quatrième pouvoir »), indépendant des pouvoirs politiques et économiques, et donc comme une garantie de démocratie. Au nom de la liberté de la presse, qui se réduit à la liberté pour les capitalistes d’investir dans les groupes de presse, on prend soin de ne jamais poser la question de la propriété des médias et des problèmes démocratiques que l’appropriation privée des médias pose en termes d’indépendance et de pluralisme.
Sur le terrain social, les salariés des médias opposent une résistance à la soumission de la presse aux logiques capitalistes : à l’AFP ou RFI par exemple, ou encore parmi les précaires de la presse en ligne. De même, on voit émerger depuis plusieurs années des résistances sur le terrain du journalisme lui-même, avec une presse alternative et des journalistes qui, comme Denis Robert mais aussi nombre d’anonymes, défendent et font vivre concrètement une autre idée du journalisme. Le NPA les soutient évidemment et salue leur détermination, mais le rôle d’un parti comme le nôtre est aussi de proposer un projet de transformation de la société qui s’attaque au pouvoir des classes dominantes, et plus particulièrement ici à l’appropriation capitaliste des médias.
Dans cet article, nous exposons les propositions que porte le NPA dans les élections présidentielles, pour une transformation radicale des médias permettant d’assurer un véritable pluralisme (politique, idéologique, culturel) et une réelle indépendance à l’égard des pouvoirs économique et politique. Elles s’inspirent des propositions du comité NPA des industries graphiques mais aussi du travail réalisé depuis une quinzaine d’années par l’association Acrimed.

Pour une refondation du service public de l’audiovisuel

Dans les médias comme ailleurs, secteur public ne veut pas nécessairement dire service public. En l’occurrence, le secteur public de l’audiovisuel a été en bonne partie dénaturé par des années de politiques libérales. Ces politiques ont été menées par les gouvernements de droite et de gauche, comme en témoigne l’exemple des « décrets Tasca » (du nom d’une ministre PS de la Culture et de la Communication), qui privent la télévision publique de la maîtrise de ses programmes, ou encore la privatisation de TF1, réalisée par la droite mais jamais remise en cause par la gauche.
En conséquence, le service public de l’audiovisuel doit être complètement refondé, libéré des logiques mercantiles et rendu indépendant du pouvoir politique. Ce service public des médias, qui associera médias publics (fondés sur la propriété publique) et médias associatifs (fondés sur la propriété coopérative), devra englober toute la chaîne de production. Ainsi, dans l’audiovisuel, la production réintégrera les chaînes publiques, avec l’abrogation des « décrets Tasca ». Les salariéEs des sociétés de production privées seront intégrées dans le service public sur simple demande.
Le financement de ce service public se fera grâce à la redevance (qui deviendra progressive et sera donc augmentée pour les ménages disposant de revenus élevés), et à la réorientation des aides à la presse, qui seront supprimées pour les médias capitalistes. Le financement publicitaire, d’abord limité, sera progressivement supprimé dans le service public ; dans une période transitoire, la publicité sera lourdement taxée et les revenus dégagés permettront de soutenir la production de contenus audiovisuels de qualité et les médias associatifs.
Ces derniers sont trop souvent oubliés dans les projets politiques sur les médias. Pourtant, malgré leurs moyens souvent faibles, ils donnent d’ores et déjà une idée de ce que pourraient être des médias libérés des logiques capitalistes et exerçant une fonction de service public. Plutôt que de distribuer des aides à la presse à de puissants médias appartenant à de grands groupes (dont nous préconisons le démantèlement), il importe d’assurer un financement pérenne des médias du tiers secteur, en créant un fonds de soutien aux médias alternatifs.
Dans ce service public de l’audiovisuel, le droit d’expression pluraliste de toutes les composantes de la société – en premier lieu partis, syndicats et associations – deviendra la règle. Les médias qui le composent auront en effet pour obligation d’organiser des débats, réguliers et pluralistes, sur l’ensemble des questions sociales et politiques qui concernent la population.
Évidemment, nous nous opposerons par ailleurs à toute privatisation des médias et infrastructures de télécommunications, et revendiquons la renationalisation de France-Télécom/Orange. Nous proposons ainsi de créer un service public des télécommunications, qui permettrait de garantir un accès universel aux technologies disponibles de l’information et de la communication. Il s’agit là d’un enjeu technologique et politique bien trop crucial pour être laissé aux mains d’investisseurs n’ayant pour objectif que le profit.

Pour le démantèlement du CSA et la création d’un organisme démocratique des médias

Cette refondation du service public ne saurait faire l’impasse sur la question de la régulation. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est, depuis 1989, l’organisme public chargé de contrôler les activités liées à l’audiovisuel (y compris les contenus). Ayant le statut d’« autorité indépendante », cette instance est présentée comme la garante du « pluralisme » et de la « démocratie audiovisuelle » en France.
Ses membres sont nommés, pour une durée de six ans, par les présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale. Il va sans dire que les derniers nommés sont tous des proches du pouvoir sarkozyste, et le président actuel du CSA n’est autre que Michel Boyon, ancien des cabinets Léotard et Raffarin. L’attribution de fréquences reflète également cette mainmise des grands groupes privés sur l’audiovisuel.
On voit ainsi ce que vaut le « pluralisme » que cette instance est censée assurer et ce qu’il advient de la « démocratie audiovisuelle » sous contrôle capitaliste. Le NPA revendique donc le démantèlement pur et simple du CSA, organe non-démocratique et inféodé au pouvoir exécutif. Il propose par ailleurs qu’un nouvel organe, sous contrôle des travailleurs des médias et de l’ensemble de la population, soit créé pour réguler l’audiovisuel en France et assurer un véritable pluralisme. Étant donné l’importance des médias locaux (presse quotidienne régionale, chaînes de télévision et radios locales), cet organisme devrait être décliné au niveau régional.
Il pourrait être composé de la manière suivante : une représentation des élus strictement proportionnelle aux résultats électoraux, une représentation des salariés des médias (du secteur public, du secteur privé des médias du tiers secteur) et une représentation des publics (même si cette dernière pose d’indéniables problèmes de représentativité). Cet organisme aura des pouvoirs très importants comme la répartition du financement des médias, le contrôle du pluralisme, des mesures d’audiences et de diffusion (permettant notamment de limiter les concentrations), ou encore de la publicité.

Combattre la mainmise de la bourgeoisie sur les médias, créer les conditions d’un véritable pluralisme

Si un secteur privé sera laissé à la libre initiative d’individus ou de groupes d’intérêts politiques, syndicaux, sociaux, culturels, sportifs, etc., le NPA propose de le transformer radicalement.
D’abord, pour assurer le pluralisme idéologique et politique, nous proposons que les partis politiques qui parviennent à réunir un certain nombre de signatures de citoyens (à déterminer démocratiquement) puissent bénéficier des moyens de publier et diffuser un journal d’opinion quotidien. Par ailleurs, des dispositions anticoncentration drastiques seront appliquées : outre la définition d’un seuil de concentration capitalistique, ainsi que d’audience ou de diffusion, un seul titre ou canal pourra être possédé par une personne, un groupe de personnes ou une entreprise. Nous interdirons par la loi à des entreprises bénéficiant des commandes publiques, comme aujourd’hui Dassault, Lagardère ou Bouygues, de détenir, même indirectement, des médias.
Une mesure phare, devant être mise en œuvre immédiatement, consistera dans la renationalisation de TF1, dont la privatisation avait été obtenue par la droite revancharde en 1987. Bien que le groupe Bouygues ne se soit à aucun moment soucié de respecter le cahier des charges fixé alors, cette concession n’a jamais été remise en cause. Au contraire, elle a été renouvelée sans débat jusqu’à 2022. La renationalisation permettra par ailleurs de supprimer la concurrence faussée qu’exerce la chaîne de Bouygues à l’égard de la télévision publique.
En presse écrite, l’outil industriel sera développé grâce à des centres d’impression publics sur tout le territoire, et les journaux seront diffusés à un prix modique par le biais d’un service public de messagerie, un réel statut de porteur de presse ou kiosquier, ou encore la renationalisation de La Poste, qui permettra une diffusion égalitaire et à faible coût sur tout le territoire. Concernant la distribution, il faut impérativement revenir à un système coopératif tel que l’organisait la loi Bichet avant sa réforme, et qui fait du pluralisme une exigence démocratique.
L’impression et la diffusion doivent répondre à un impératif de service public en matière de pluralisme et favoriser les médias non soumis aux logiques mercantiles : une modulation des coûts sera ainsi mise en place selon le statut des entreprises de presse (au prix fort pour les médias privés, faible pour les médias du tiers secteur). Pour finir sur ce point, outre les mesures évoquées plus haut permettant aux partis et syndicats de publier des journaux quotidiens, le fonds de soutien aux médias alternatifs, dont nous proposons la création, permettra d’aider les initiatives coopératives et la presse écrite alternative.
Enfin, un statut établissant la totale indépendance de l’AFP à l’égard des pouvoirs politique et économique doit être garanti, ainsi qu’un financement pérenne et la titularisation de tous les précaires.

Abroger les lois Hadopi, garantir la « neutralité du Net » et construire un service public de l’Internet

Un service public garantissant un usage démocratique du réseau Internet doit donner à chacun les moyens de se connecter et ne pas laisser le capital structurer l’offre de contenus, en particulier dans le domaine de l’information.
Mettre en ligne un site attractif et riche en contenus nécessite un système de publication et des outils performants, mais surtout des professionnels qui ont les moyens d’enquêter, de rédiger, de filmer, de monter les images, d’éditer, de faire la maintenance de l’ensemble, etc. Or, étant seuls à disposer de ces moyens, les groupes capitalistes s’approprient la formidable liberté que pourrait représenter Internet.
Bien sûr, la dynamique des logiciels libres ouvre une véritable opportunité de progrès en dehors du secteur marchand et toutes ces expériences doivent être encouragées. Mais cela ne saurait suffire pour faire d’Internet un véritable média démocratique. Seul un service public de l’Internet pourrait par exemple mettre des outils de publication à la disposition des associations, des partis politiques, mais aussi de travailleurs en lutte ou de populations n’ayant jamais accès à la parole publique.
Le NPA propose par ailleurs d’abroger les lois Hadopi liberticides pour mettre en place une licence globale, permettant de faire reconnaître le travail des artistes sans les soumettre aux logiques de rentabilité financière immédiate. Nous défendons l’idée d’une taxation des grands groupes multimédias de manière à financer autrement une culture non soumise à la logique des profits. La renationalisation de France-Télécom/Orange permettra enfin de mettre en place une politique garantissant la « neutralité du Net », c’est-à-dire le principe d’une égalité de traitement de l’ensemble des flux de données sur Internet.

Du côté des journalistes : droits sociaux et droits d’intervention

Tout d’abord, le NPA lutte contre la précarité, par la requalification en CDI de tous les contrats précaires, et les discriminations dont les femmes sont l’objet (rattrapage salarial immédiat et annulation des inégalités de carrière). La convention collective doit être strictement appliquée et tous les statuts dérogatoires au code du travail interdits.
Plus largement, les médias – comme l’ensemble de l’économie – doivent se trouver sous le contrôle des salariés, c’est-à-dire de celles et ceux qui produisent effectivement les richesses. Ainsi, les salariés auront un droit de veto sur l’entrée au capital. Il importe également de faire en sorte que les usagers soient représentés dans les organes de direction et de régulation des médias. Par ailleurs, les chartes de journalistes doivent être intégrées à la convention collective et l’ensemble des rédactions être dotées d’un statut juridique qui leur donnera un droit de veto sur l’orientation rédactionnelle et l’embauche de la rédaction en chef.
Les patrons de la presse écrite et de l’audiovisuel n’ont de cesse de remettre en cause le statut des journalistes, plus protecteur que le droit commun. Le but : rendre les journalistes plus dociles et faire de substantielles économies. Après s’être attaqués aux droits des journalistes rémunérés à la pige et aux droits d’auteurs, ils tentent de remettre en cause la commission arbitrale qui statue notamment sur les indemnités des journalistes licenciés après quinze années d’ancienneté. Le NPA s’élève contre toutes ces atteintes aux droits des journalistes.
Le NPA appuie également la demande des syndicats de journalistes et d’associations de critique des médias du renforcement du secret des sources des journalistes. La liberté d’expression et le droit à l’information supposent que les journalistes puissent faire leur travail d’investigation sans pression. Le NPA se prononce contre le secret défense et le secret bancaire, pour l’ouverture des livres de comptes des grandes entreprises et l’accès aux documents administratifs.
Ces dernières années, de nombreuses atteintes au secret des sources et à la liberté de la presse ont été le fait des plus hauts services de l’État. Nous dénonçons toutes les tentatives de la part du clan au pouvoir et de ses affidés de brider l’information, d’intimider les journalistes et les syndicalistes. Une nouvelle loi sur la protection du secret des sources devra être promulguée qui s’appuiera sur les propositions des syndicats de journalistes. De même devront être interdites les perquisitions aux sièges des journaux ou au domicile des journalistes pour des raisons touchant à leur mission d’information. Le NPA demande en outre l’abandon des poursuites contre les journalistes et médias qui n’ont fait que leur travail d’information (sur la Françafrique, les transactions financières, les scandales de l’industrie pharmaceutique ou les marchés attribués à Bouygues).
Enfin, ces propositions doivent être articulées avec la question de la société que nous aspirons à construire, d’une société où les travailleurEs gèrent eux-mêmes les entreprises, contrôlent la production et la diffusion des biens, décident de la répartition des richesses. Nous pensons que les propositions exposées plus haut permettent d’entrevoir, à partir de la question spécifique des médias, en quoi pourrait consister un socialisme démocratique, et dans quelle mesure il permettrait une information à la fois plus libre, parce que libérée de la dépendance à l’égard de l’État et du capital, mais aussi une production culturelle délivrée des impératifs de rentabilité immédiate et un débat pluraliste sur les grands sujets qui intéressent l’ensemble de la population.

La commission médias du NPA

samedi 7 avril 2012

mardi 3 avril 2012

Vous avez dit "égalité de temps de parole" ?


A partir du début de la campagne officielle, c’est-à-dire environ un mois avant le 1er tour, les médias audiovisuels sont en principe contraints de garantir une stricte égalité de temps de parole. Or, non seulement cette égalité est souvent contournée (en modulant les moments de passage, avec lesquels varie évidemment l’audience), mais elle fait surtout suite à une période d’absence quasi-totale de pluralisme, où les « petits » partis n’ont voix au chapitre que lorsque les « grands » médias le décident, autant dire (presque) jamais.

C’est le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui – en période d’élection ou non – est en charge de contrôler le respect, par les chaînes de télévision et les stations de radio, des règles légales en matière de pluralisme politique. La presse écrite n’a, quant à elle, de comptes à rendre à personne du peu de cas qu’elle fait de ce pluralisme[1]. Rappelons par ailleurs que les membres du CSA étant nommés par le Président de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat, l’indépendance dont cette institution se prévaut est largement factice. Il n’y a donc nullement à s’étonner du faible intérêt qu’elle porte à la parole des « petits » candidats.

Hors élection présidentielle (seule élection où l’égalité de temps de parole entre partis est censée être garantie), c’est la règle de la répartition par tiers qui prévaut : un tiers pour l’opposition parlementaire, un tiers pour la majorité parlementaire et un tiers… pour le Président de la République. C’est donc en toute légalité que, durant les cinq années qui précèdent l’élection, les grands médias peuvent distribuer la parole, pour un tiers, au PS et ses alliés, et pour deux tiers à l’UMP. Aux partis qui, comme le NPA, refusent de brader leur indépendance politique en s’alliant avec le PS, il ne sera concédé que des miettes.

Avant le début de la campagne officielle pour l’élection présidentielle, le CSA conseille aux médias audiovisuels l’ « équité ». On aperçoit ce que vaut cette équité en consultant les chiffres publiés par le CSA[2]. Si l’on prend les grandes chaînes de télévision : entre le 1er janvier et le 24 février, Philippe Poutou aura ainsi bénéficié de 0,88% et 0,68% dans les émissions d’information sur France 2 et France 3, et 0,38% et 0,15% pour TF1 et M6. Pour la même période, sur aucune des principales radios généralistes (Europe 1, RTL, France Inter, France Info), notre candidat n’aura bénéficié d’un temps d’antenne supérieur à 1%. Ce n’est que du 9 au 20 mars que nos idées auront pu être exposées un peu davantage dans ces médias.

Mais pour les « grands » journalistes et autres directeurs de rédaction, c’est déjà trop. Ainsi, neuf dirigeants des principaux médias audiovisuels ont, le 6 février dernier, envoyé un courrier au Conseil constitutionnel intitulé « Les règles du CSA sont inapplicables ! ». Il y a ceux qui, comme Jean-Michel Apathie, pense que cette égalité des temps de parole est « une bêtise française incroyable », et qu’il faudrait « qu’il y ait une révolte, des manifestations de journalistes, qu’on aille devant le siège du Conseil constitutionnel » (voire « que deux ou trois confrères courageux fassent la grève de la faim »[3]).

Mais plus effarant peut-être, il y a des tenanciers des médias pour nier, tout simplement, le pouvoir de consécration (ou inversement d’invisibilisation) qu’ils s’arrogent. Face à Philippe (le 13 mars sur Canal+), Ariane Massenet peut ainsi asséner, après avoir justement constaté que la presse écrite avait consacré seulement 0,5% de ses pages politiques au NPA : « C’est une volonté de votre part ? […] Une volonté d’être invisible… ? ».

Au-delà de cette mesure quantitative, beaucoup de choses devraient être dites sur le type de traitement médiatique réservé à un candidat qui se distingue de tous les autres en étant un salarié ordinaire, traitement qui va de la morgue d’un Michel Onfray au mépris d’une Pascale Clark en passant par l’amusement d’un Laurent Ruquier pourtant prompt à rappeler ses origines populaires. Dans ces conditions très difficiles, mais grâce à un temps d’antenne un peu moins défavorable, on peut espérer que Philippe, dans les trois semaines restantes, pourra faire entendre une voix anticapitaliste, celle des opprimés qui ne se soumettent pas au rouleau-compresseur capitaliste que les médias dominants cherchent à nous faire accepter.

Léo Carvalho


[1] Ainsi, les journalistes de l’émission « Le Grand journal » sur Canal+ avaient fait le calcul que Nicolas Sarkozy avait bénéficié du 20 février au 12 mars de 50% de l’espace consacré à la campagne dans la presse écrite.
[2] Voir ici : http://www.csa.fr/content/view/full/57266
[3] Toutes ces citations sont tirées d’un article d’Acrimed : http://www.acrimed.org/article3765.html

mercredi 19 janvier 2011

L’ « affaire PPDA » : un cas de plagiat et ce qu’il révèle


Ce n’est ni la première fois qu’un journaliste dominant est accusé (ou convaincu) de plagiat, ni la première fois que PPDA se trouve embarqué dans une histoire douteuse. Analyse d’un cas exemplaire et de ce qu’il révèle du fonctionnement des grands médias. 
 
L’Express a dévoilé, dans un article paru le 4 janvier 2011, un cas flagrant de plagiat touchant l’ancien présentateur du journal télévisé de TF1 (pendant plus de vingt ans) : Patrick Poivre d’Arvor, dit PPDA. Pour écrire sa biographie de l’écrivain américain Ernest Hemingway, qui devait paraître le 19 janvier 2011, PPDA aurait pioché non pas simplement des éléments ou idées issus d’une biographie publiée par Peter Griffin en 1985, mais des passages entiers, grossièrement modifiés pour masquer ce qui apparaît comme un vol pur et simple. Selon l’auteur de l’article, Jérôme Dupuis, les « emprunts » cumulés représenteraient près d’une centaine de pages dans l’ouvrage de PPDA. 
 
Il peut être instructif de rappeler quelques jalons de la carrière d’homme de médias (et de pouvoir) de PPDA. En 1992, Pierre Carles avait montré la manipulation dont il s’était rendu coupable en décembre 1991 pour accroître à peu de frais son crédit de journaliste proche des « grands » de ce monde. Il avait ainsi laissé croire aux téléspectateurs, grâce à un habile montage d’extraits d’une conférence de presse, qu’il avait personnellement interviewé Fidel Castro. Plus grave, PPDA est condamné à 15 mois de prison avec sursis et à 200 000 francs d’amende pour recel d’abus de biens sociaux, dans le cadre de la dite « affaire Botton ». Homme d’affaires impliqué dans diverses magouilles, Botton avait mis son réseau au service de Michel Noir, son beau-père et maire RPR de Lyon, et arrosait de cadeaux des membres de l’élite médiatico-politique, dont PPDA. Devant l’ampleur du scandale, la chaîne de Bouygues avait été contrainte de suspendre son journaliste vedette durant 3 mois. 
 
Quant à sa carrière d’écrivain, un article publié par Acrimed1 rappelle opportunément que PPDA est l’auteur de plus de 60 ouvrages depuis 30 ans (alors même qu’il présentait durant l’essentiel de cette période le JT le plus regardé de France). Cette écriture de romans ou d’essais en quantité industrielle a de quoi laisser pantois et fait peser de gros doutes sur la contribution véritable du journaliste à l’écriture de ces livres. Ainsi PPDA a-t-il été maintes fois accusé de recourir à des « nègres » (pour reprendre l’expression commune mais non dénuée de racisme). Pour sa biographie d’Hemingway, il paraît avéré que le dénommé Bernard Starck a lui-même rédigé de conséquentes parties de l’ouvrage. Quand on souhaite écrire deux livres par an et engranger les profits (matériels ou symboliques) qui leur sont associés, il est vrai qu’il vaut mieux s’en donner les moyens. « PPDA » n’est ainsi qu’une marque derrière laquelle se dissimule une entreprise collective spécialisée dans la production de livres aussi vite oubliées qu’ils ont été écrits. 
 
On pourrait s’étonner de voir un journaliste expérimenté tel que PPDA recourir de manière aussi visible au plagiat, pratique déshonorante qui contredit les règles minimales d’honnêteté intellectuelle. Mais pour ne pas en rester à un simple jugement moral et comprendre cette facilité du recours au plagiat, il faut sans doute invoquer l’impunité dont plusieurs tenanciers des grands médias ont bénéficié lorsqu’ils ont été pris la main dans le sac. On pense ici à Alain Minc2, Jacques Attali ou Thierry Ardisson. Même s’il leur est arrivé d’être condamné par la justice à des amendes, ils n’ont jamais été mis en demeure de s’expliquer dans les médias et continuent, pour les deux premiers, à être invités à maintes reprises en tant qu’ « experts » ou, concernant Ardisson, à présenter des talk-shows sur le « service public » ou les chaînes privés. Entre retours d’ascenseur et connivences spontanées, ils ont ainsi pu continuer comme si de rien n’était à exercer cette forme particulièrement pernicieuse de pouvoir de prescription intellectuelle et culturelle que leur assure l’omniprésence sur les écrans, sur les ondes ou dans la presse écrite. Rien ne laisse présager qu’il en sera différemment concernant PPDA.


Léo Carvalho

dimanche 26 septembre 2010

Affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy, ou comment on malmène la liberté d’informer


Lundi 13 septembre, nouvelle déflagration dans l’affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy[1]. Le journal Le Monde annonce en Une qu’il va déposer une plainte contre X pour violation du secret des sources.
On y apprend que les services de contre-espionnage (DCRI) ont été mis à contribution, le 18 juillet, pour identifier un informateur du Monde. Grâce à lui, le journal avait publié les auditions de Patrick de Maistre, le gestionnaire désormais célèbre de la fortune Bettencourt. Le journal nous apprend par ailleurs que le contre-espionnage français est remonté jusqu’à un certain David Sénat, magistrat collaborateur d’Alliot-Marie, grâce au listing de ses appels téléphoniques dans lequel apparaissait Gérard Davet, journaliste au quotidien du soir.
Si les affaires d’Etat ne sont pas l’apanage de la droite (on se rappellera, entre autres scandales, celle des écoutes téléphoniques sous Mitterrand), cette affaire signale la fébrilité du pouvoir dans un moment de crise politique et économique. Depuis que le site internet Mediapart a mis en évidence la collusion directe entre Bettencourt et celui qui était il y a peu trésorier de l’UMP, à savoir Eric Woerth, les attaques n’ont pas cessé de la part de la majorité présidentielle contre tout journaliste affichant quelque velléité d’indépendance. La violence de ces invectives a été à la mesure de l’intensité des liens noués entre le pouvoir d’Etat, le grand capital et les médias dominants.
Ainsi Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, avait pu parler cet été de « méthodes fascistes » pour évoquer les techniques d’investigation de Mediapart. De même Christian Estrosi, ministre de l’Industrie et des délocalisations heureuses, avait dénoncé un « site qui rappelle une certaine presse des années 30 ». Nadine Morano, poétesse du Prince et secrétaire d’Etat à la Solidarité et à la Famille, avait découvert dans ce travail journalistique l’effet d’ « une espèce de collusion médiatico-politico-trotskiste qui essaie de jeter l'honneur d'Eric Woerth ». Pourtant, si collusion il y a, c’est bien entre l’actuel président et ses proches amis que sont Bolloré, Lagardère, Bouygues ou Dassault, par ailleurs grands propriétaires de médias.
Le pouvoir n’est donc pas au mieux depuis l’éclatement de cette affaire et, même si le patron de la DCRI le conteste, il y a tout lieu de penser que c’est Sarkozy lui-même qui a demandé au contre-espionnage d’enquêter sur Le Monde. Si personne ne confirme l’implication d’un membre du cabinet d’Alliot-Marie dans cette affaire, la mutation à Cayenne de David Sénat n’est-elle pas un aveu implicite de son rôle dans l’affaire Woerth ? Outre les dissensions au sein de la bourgeoisie, cette affaire révèle le périmètre très restreint dans lequel la classe dominante tient la liberté de la presse.
En régime capitaliste, cette liberté s’arrête là où commencent les intérêts des puissants. Ainsi se ramène-t-elle le plus souvent à vanter les mérites des gouvernants, à organiser de fumeux « débats » où se répondent des interlocuteurs à peu près d’accord sur tout ou à noyer les enjeux dans l’insignifiance du divertissement généralisé et de faits divers faisant diversion. Et pour peu qu’un journaliste fasse son travail d’enquête, cette affaire donne à voir le traitement que lui réserve le pouvoir d’Etat : surveillance et diffamation.
Julien SERGERE et Léo CARVALHO



[1] Depuis qu’est connue la contribution illégale apportée par L. Bettencourt au financement de la campagne présidentielle de Sarkozy, il n’est plus possible de parler simplement de « l’affaire Woerth ».

mardi 6 juillet 2010

Guillon, Porte... Reprise en main de Radio France

Le licenciement de Stéphane Guillon et de Didier Porte est l’aboutissement d’une normalisation de la radio, entamée il y a déjà plusieurs mois.

Le 23 juin, le site Internet lemonde.fr sort un scoop : Stéphane Guillon va être viré de France Inter. Le site reproduit une partie d’une interview de Jean-Luc Hees, patron de Radio France, qui doit paraître le lendemain dans la version papier. Si les médias s’emparent de cette affaire et si le licenciement de Guillon fait aujourd’hui réagir médias et partis politiques, la reprise en main idéologique de France Inter a commencé depuis bien longtemps.

En mai 2009, le conseil des ministres nomme Jean-Luc Hees à la tête de Radio France et dans la foulée, Philippe Val quitte le trop étroit Charlie Hebdo pour prendre la tête de France Inter. À l’époque1, nous dénoncions la mainmise de Nicolas Sarkozy sur ces nominations. Les syndicats s’inquiétaient de la refonte des grilles de la rentrée 2009, mais la légitimité du duo n’était pas assez forte pour tout chambouler rapidement. Ils ont donc attendu quelques mois avant de prendre des décisions qui façonnent une nouvelle radio d’État au service de l’idéologie ultra-libérale.

Les premiers émois ont lieu en avril 2010 lorsqu’on apprend que Rue des entrepreneurs, émission produite par Didier Adès et Dominique Dambert, est supprimée le 1er mai, après 28 ans d’antenne. Si le ton de l’émission n’était pas anticapitaliste, son traitement des sujets et ses invités variés permettaient de mieux saisir la réalité du capitalisme contemporain, sans pour autant le contester. Mais Val et Hees s’attaquent aussi à deux symboles de France Inter en supprimant de la grille de rentrée 2010 Et pourtant elle tourne et Esprit Critique, qui participaient à donner à France Inter son ton de gauche. Dans Et pourtant elle tourne, de grands reportages traitaient des désastres du capitalisme mondial et Esprit critique était une émission culturelle et artistique pointue. Mais si les syndicats et auditeurs se mobilisent fortement (Facebook, pétitions, manifs) contre leur suppression, c’est le licenciement de Guillon qui montre au plus grand nombre la reprise en main de la station.

Mise au pas 

Ce n’est donc que le 23 juin que Jean-Luc Hees nous apprend le licenciement de Stéphane Guillon. Dans des termes très violents, il s’attaque à l’humoriste de 7h55 : « Je ne peux accepter que l’on me crache dessus en direct. L’humour ne doit pas être confisqué par de petits tyrans […] une grande misère intellectuelle dont je ne m’accommode pas. » Le patron de Radio France ne pouvait plus supporter qu’un de « ses » humoristes s’attaque aux hommes politiques invités de la matinale de France Inter. On se souvient des réactions outrées de Dominique Strauss-Kahn ou Éric Besson devant l’impertinence de Guillon et on peut penser qu’ils ne sont pas les seuls à s’être plaints de leur traitement. Guillon était devenu un obstacle à la normalisation de la station quoi que l’on pense de son humour et de sa politisation.

Le même jour, Didier Porte annonce dans sa chronique du Fou du Roi avoir reçu une lettre de licenciement de Phillipe Val : il n’animera plus de chronique dans l’émission de Stéphane Bern. Là, Radio France s’attaque clairement à un humoriste engagé, Didier Porte se déclarant marxiste. Que lui vaut cette lettre de licenciement ? Un sketch dans lequel il fait dire à Dominique de Villepin : « J’encule Sarkozy ». On rappellera, non sans ironie, qu’à l’époque où Philippe Val était encore un chanteur libertaire en compagnie de Patrick Font, il vendait un disque intitulé Ça va chier (1987) dont la pochette était illustrée par un dessin de Cabu où Val et Font sodomisaient Philippe Léotard, alors ministre de la Culture.

Mais Val et Hees ne pourraient pas mettre aux ordres une radio publique sans le soutien actif de salariés de la station. Ainsi, Nicolas Demorand, Bernard Guetta et Thomas Legrand – tous trois salariés de Radio France – avaient attaqué Didier Porte dans le Grand Journal de Canal+ du 3 juin 2010. Nicolas Demorand, collègue de Didier Porte déclarait : « Quand on voit un usage de cette nature de la liberté, là on n’est pas dans la caricature, c’est pas drôle, c’est juste vulgaire, quoi ». Thomas Legrand, autre collègue de Didier Porte : « Tout est apparu comme une provocation jusqu’au-boutiste […] c’est l’ensemble de la matinale qui est mis à mal. On ne peut pas arriver au milieu d’une tranche d’infos, déverser ça et repartir ». Enfin, Bernard Guetta, l’atlantiste et le oui-ouiste de France Culture : « Moi j’étais dans ma bagnole, arrivant à Inter, pendant cette chronique de Porte, et franchement, j’ai failli rentrer dans un autobus. Je trouvais ça simplement inconcevable. » Ces grands garants de la liberté d’expression, sur les caricatures de Mahomet notamment, se couchent dès qu’il s’agit de s’attaquer au pouvoir et au patronat.

La seule bonne nouvelle dans cette histoire ? Un appel à manifester devant la Maison de la Radio à Paris, le 1er juillet 2010 à 18 heures, pour une radio publique indépendante.

Julien Sergere

1. Tout est à nous ! du 2 juin 2009

jeudi 29 avril 2010

Imbroglio à France Télévisions : gros sous et pouvoir d’État


 
La décision du conseil d’administration de France Télévisions de suspendre la privatisation de sa régie publicitaire nous plonge au cœur des contradictions d’un secteur public soumis aux injonctions, de plus en plus directes, du pouvoir d’État.

Si l’on veut comprendre quelque chose à l’ « affaire » qui secoue France Télévisions depuis quelques semaines, il faut avoir en tête le contexte politique, celui d’une volonté présidentielle de renforcer son emprise sur France Télévisions, et plus largement sur l’ensemble de l’audiovisuel public. Ainsi Sarkozy avait-il fait passer, en mars 2009, une loi lui permettant de nommer directement les présidents de France Télévisions et de Radio France. Cette loi entérinait par ailleurs la suppression de la publicité, après 20h à partir du 1er janvier 2009 et totale fin 2011.

Contrairement à ce que prétendaient Sarkozy et son sbire Copé, cette mesure ne visait évidemment pas à soustraire France Télévisions aux contraintes du marché publicitaire et à améliorer ainsi la qualité de ses programmes. Il s’agissait à la fois d’un coup de pouce financier à TF1, la chaîne possédée par celui qu’il présente régulièrement comme son « meilleur ami » (Martin Bouygues), mais c’était peut-être surtout un moyen d’accroître la dépendance du secteur public à l’égard du pouvoir d’État. La suppression de la publicité, et la disparition des revenus qui lui sont liés, laissait en effet les chaînes publiques sans ressources propres.

La commission Copé, dont la fonction avait été de faire accepter cette suppression sans conditions, avait imaginé un financement de France Télévisions par une taxe sur les opérateurs de télécommunication. Mais la décision de la Commission européenne de retoquer cette taxe a rendu incertaine la fin de la publicité avant 20h et des voix se sont élevées, dont celle du ministre de la Culture, contestant la vente de la régie publicitaire à un opérateur privé, au prétexte que cela créerait un « problème déontologique ». Le repreneur prévu, le consortium Publicis-Lov Group dirigée par un certain S. Courbit, est en effet déjà engagé dans la production de programmes diffusés sur les chaînes du secteur public, ce qui créerait un conflit d’intérêt manifeste. On apprend par ailleurs qu’Alain Minc, qui aurait soufflé à l’oreille de Sarkozy l’idée de supprimer la publicité, détiendrait des parts dans la société de Courbit.

Cette histoire fonctionne comme un miroir des dissensions qui se font jour à droite. Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée, s’est ainsi prononcé contre la suppression de la publicité avant 20h. Sans doute échaudé par la brutalité de décisions présidentielles qui tendent à le marginaliser, le très-chiraquien Patrick de Carolis s’est quant à lui lancé dans ce qui apparaît comme un « baroud d’honneur » contre la reprise de la régie publicitaire. Les syndicats s’en sont félicité, notamment par la voix du représentant CGT J.-F. Téaldi, se réjouissant de cette marque d’ « indépendance ». Au-delà, cette privatisation (pour l’instant contestée) illustre non seulement la volonté de l’exécutif de contrôler l’audiovisuel public mais, plus profondément, les relations incestueuses entre pouvoir d’État et pouvoir capitaliste.

Léo Carvalho