mercredi 25 novembre 2009

Comment j’ai appris à aimer le capital et à en faire la servile apologie, par Christophe Barbier


Quand le capital a besoin de justifier sa domination ou l’accroissement de son emprise, il trouve sans peine de valeureux serviteurs médiatiques prompts à vanter ses mérites et à faire taire les critiques. 
 
Dans la lutte qui oppose les travailleurs à la poignée de capitalistes qui sont les véritables maîtres de l’économie, les éditorialistes vedettes – souvent cumulards – et autres directeurs de rédaction des médias dominants ont une fonction bien particulière et essentielle : convaincre les salariés qu’ils ne sauraient se passer des capitalistes (y compris dans le secteur des médias) et exorciser le spectre d’une autre société possible. Mais il est des « journalistes » qui s’acquittent de cette tâche avec un empressement tel qu’il doit retenir notre attention, tant il signale une perte de légitimité du système, contraignant ses agents les plus serviles à recourir aux arguments les plus fallacieux.
Christophe Barbier est de ceux-là, lui qui ces dernières mois – sur LCI et surtout dans L’Express qu’il dirige – a poussé jusqu’à ses plus hauts sommets de veulerie l’art vénérable du cirage de pompes. En faisant feu de tout bois dans la défense, non seulement des patrons de France Télécom, mais aussi du travail le dimanche et de l’enseignement privé, il a déposé les pistolets en plastique du journalisme de cour au pied d’un trône qui le gratifie déjà d’une présence à la table des vainqueurs. Barbier n’est-il pas l’ami personnel et le confident de la duchesse Bruni, elle-même épouse d’un président sensible aux frustes procédés de la flagornerie ?
Quelques échantillons suffisent pour témoigner du mépris et de la bêtise dont fait preuve, chaque semaine, l’infatigable laquais du capital :
-          « Les Français n’ont pas envie de travailler le dimanche, mais les Français n’ont pas envie de travailler tout court. Il y a un problème culturel de rapport au travail dans ce pays. […] Et vous savez ils ont encore moins envie de travailler le lundi, on le voit bien à leur tête quand ils arrivent. […] Croyez-vous que, pour les jeunes filles de banlieue, il soit plus épanouissant d’être cloîtrées dans leurs cités HLM plutôt que d’être au travail le dimanche ? » (07/07).

-    [Sur les suicides à France Télécom] « Mais c’est la faute de l’Etat. L’Etat, socialement, a trop protégé ses troupes : pas de mutations au mérite, tranquille avancement à l’ancienneté, la sécurité de l’emploi, la culture de la fonction publique à la française. Et comme l’Etat, sur le plan économique, a été mauvais, il est obligé de mettre dans le privé toute une série d’activités jadis publiques, et il amène dans le privé des gens qui ne sont absolument pas préparés à la vie un peu plus rude dans le privé » (15/09).
-   « Si l'on faisait basculer entièrement notre système éducatif vers du privé sous contrat, pour additionner le dynamisme du privé, la motivation des profs, l'exigence de résultats et une certaine forme de discipline, et puis bien sûr les exigences anciennes du public, c'est-à-dire de l'enseignement républicain, des valeurs communes à tous, allons-y ! Tentons le 100 % privé, mais sous contrat républicain ! » (29/09).
Lui qui a vécu sa scolarité universitaire sous les lambris dorés de l’Ecole normale supérieure, lui qui vient d’être nommé membre du directoire du groupe L’Express Roularta, sans doute a-t-il beaucoup à dire sur la rudesse du monde du travail. Car la vie ne l’a pas préservé des difficultés matérielles et des humiliations quotidiennes. Enfant, ses camarades tiraient sur son écharpe déjà rouge jusqu’à étouffer dans un râlement ses tirades infectes. Aujourd’hui garde-chiourme en chef à L’Express, ce n’est pas le crack qui – contrairement à la rumeur – le livre à cette frénésie de sottises dont il nous assomme une fois par jour, mais la joie de célébrer des licenciements renflouant les coffres de ses amis patrons et la jubilation de faire suer des profits aux salariés de l’hebdomadaire.
Ce n’est pourtant pas la personne de Christophe Barbier qui importe, tant le zèle ridicule qu’il met à prendre la défense du capital privé n’a d’égal que la médiocrité des arguments avancés, mais ce qu’il représente : la soumission inconditionnelle des médias aux pouvoirs économique et politique, et surtout la nécessité d’une transformation radicale d’un système médiatique structurellement inféodé à l’ordre capitaliste. 

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