samedi 17 avril 2010

Mauvaise humeur anti-journalistes ou critique politique des médias ?


L’attitude récente de Jean-Luc Mélenchon à l’égard des journalistes nous donne l’occasion de revenir sur la (nécessaire) critique des médias.
Le président du Parti de gauche s’est récemment fait remarquer dans les médias par deux prises de position qu’il n’est pas inutile de rappeler et de lier l’une à l’autre. La première tient dans une défense d’Eric Zemmour, qui avait justifié les contrôles aux faciès en affirmant que « la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes ». Mélenchon a déclaré : « Je connais Zemmour. Il ferait mieux de dire qu'il a dit une bêtise. Ce type n'est pas un raciste. C'est un brillant intellectuel, mais comme tous les intellectuels, il est têtu comme une mule ». Un « brillant intellectuel » Zemmour ? Sans juger de la qualité intellectuelle du polémiste (et de la fonction qu’il occupe dans le champ médiatique[1]), on doit rappeler que celui-ci est l’auteur d’un ouvrage ouvertement sexiste – intitulé Le premier sexe (sic) – dans lequel il en appelait à un retour à la division traditionnelle des rôles sexués et justifiait l’existence des discriminations de genre. Etait-ce nécessaire et urgent, pour le porte-parole d’une organisation de gauche, de venir à sa rescousse et de légitimer ainsi le discours d’un idéologue réactionnaire ayant toute latitude pour se défendre lui-même dans ses multiples interventions médiatiques (France 2, Le Figaro magazine, RTL, France O, La chaîne Histoire, etc.) ?
Le deuxième épisode l’a opposé à un étudiant en journalisme qui, lors de la campagne pour les élections régionales, l’interrogeait sur l’opportunité d’une « réouverture des maisons closes ». Refusant de répondre sur ce point au nom d’une juste critique de l’imposition par les médias de l’agenda politique, Mélenchon assénait : « Ça n’intéresse personne, sinon vous et votre sale corporation voyeuriste et vendeuse de papier. […] Avec moi vous parlez de choses sérieuses, vous parlez de politique et vos sujets de merde vous allez les faire avec des gens qui veulent répondre à la merde. C'est fini, tu fermes ta petite bouche, tu me parles de politique. Moi je te parle de médias et de ton métier pourri […] Je veux parler du titre du Parisien, petite cervelle, pas de la prostitution ! ». Le problème, c’est qu’en mêlant une critique pertinente et une haine – en partie mise en scène[2] – des journalistes, Mélenchon traîne la critique des médias dans la boue de l’anti-journalisme primaire et oublie que nombreux sont les journalistes à désespérer de la presse et de son inféodation aux pouvoirs économique et politique. Combien de journalistes, précarisés par des directions uniquement soucieuses d’audimat ou de chiffres de vente, sont en effet condamnés à reproduire sans cesse les mêmes sujets formatés ou à endosser les logiques faciles du « scoop » ?
Au-delà, il faudrait mettre au premier plan – comme il arrive à Mélenchon de le faire – la question des facteurs qui expliquent l’état déplorable de la presse, son pluralisme anémié et son indépendance factice : l’appropriation des médias par de grands groupes industriels et financiers, la soumission du secteur public au pouvoir d’Etat, la forte précarité dont les journalistes sont l’objet, l’urgence permanente dans laquelle ils travaillent, le pouvoir d’imposition des « éditocrates », la recherche par tous les moyens de la rentabilité immédiate, les conditions de formation des journalistes dans des écoles privées, etc. Les médias se satisfont d’ailleurs très bien d’une critique d’humeur, qu’ils ont beau jeu de ramener à un procédé de communication politique ou, pire, à un refus quelque peu totalitaire de la liberté d’information. Mais comment expliquer que tant de gens paraissent se satisfaire d’une telle critique et défendent une diatribe qui n’honore guère le président du PG ? Outre la défense du statu quo par les grands médias (qui s’acharnent bien entendu sur Mélenchon depuis quelques jours, généralement sans lui donner les moyens de se défendre[3]), c’est surtout qu’aucune organisation de gauche – et le NPA pas plus que les autres – n’a pris au sérieux et à bras le corps cette question en élaborant et en propageant une critique politique des médias. Celle-ci ne peut en effet se réduire, comme chez Bayrou lors de la campagne présidentielle de 2007, à une muleta que l’on agite pour conquérir une popularité à peu de frais.
Le champ médiatique constitue un obstacle spécifique pour toute politique d’émancipation en réservant la parole aux élites politiques et économiques, en invisibilisant les luttes sociales ou en les réduisant à quelques clichés[4], en proposant une lecture systématiquement compassionnelle des oppressions et en présentant comme utopique tout projet de transformation radicale de la société. A nous, y compris dans les grands médias, de populariser une critique et des propositions anticapitalistes dont pourraient s’emparer les mouvements sociaux – et les salariés du secteur ! – pour contester le pouvoir d’une minorité sur l’information et le débat public.

Léo Carvalho


[1] http://www.acrimed.org/article3340.html
[2] http://www.bakchich.info/Melenchon-pas-les-torchons-et-les,10406.html
[3] http://www.acrimed.org/article3342.html
[4] http://www.npa2009.org/content/m%C3%A9dias-et-guadeloupe-une-v%C3%A9rit%C3%A9-bien-ordonn%C3%A9e

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